Recherchez ici

Education: l'Etat haïtien face à sa mission

L'éducation est l'un des axes prioritaires sur la base duquel repose une société. Les problèmes de toutes sortes que confronte Haïti dans tous les domaines, témoignent, selon plus d'uns, de la fébrilité de son système éducatif qui n'a jamais été parmi les priorités de l'Etat haïtien. Le colloque organisé les 27 et 28 octobre 2005 au Ritz Kinam et pronant un partenariat public/privé en éducation, a été l'occasion tout d'abord pour les organisateurs de mettre en relief l'importante contribution du secteur privé dans le domaine éducatif, de proner la nécessité d'une mise en commun de l'Etat et du secteur privé de l'éducation et enfin expliquer le manque d'intérêt affiché généralement par les responsables étatiques en ce qui a trait à l'éducation.


Avec moins de 20% de couverture de l'offre scolaire en Haïti, l'Etat haïtien est loin de répondre à sa mission de garantir l'éducation primaire à tous. Les chiffres avancés par le coordonnateur du Consortium témoignent de la mauvaise performance et du laxisme de l'Etat haïtien dans ce secteur. Une idée de la répartition actuelle des écoles publiques et non publiques Selon les données du recensement réalisés en l'année 2002-2003 par la Direction de la Planifiation et de la Coopération Externe du MENJS, sur un nombre de 17.812 écoles inventoriées, 1431 soit 8,3% sont publiques et 16381 soit 91% sont non publiques. Sur un effectif total de 2.678.011 élèves, 531974 soit 19,86% fréquentent des écoles publiques et 2.146037 soit 80,14% fréquentent des écoles non publiques. Ces écoles non publiques sont divisées en 2 catégories : les sous-secteurs mixtes qui comprend les écoles communales, les écoles communautaires, les écoles presbytérales, les écoles de mission et d'ONG fréquentées par 37% et le sous-secteur-privé fréquenté par 44,5% des élèves. Le faible engagement de l'Etat à travers l'histoire par rapport à sa mission de scolariser l'ensemble de la population a conduit à ce scandale éducatif unique au monde. Ajouter à ce tableau désastreux, 500.000 enfants de 6 à 12 ans ne fréquentent pas l'école. Le taux d'analphabétisme varie entre 45 et 61% dans la population de 10 ans et plus. Au comble des familles qui supportent une charge importante en se voyant obliger, pour scolariser leurs enfants (en plus des taxes qu'elles payent) de financer le fonctionnement des écoles privées devenues des bouc-émissaires pour occulter l'indifférence de l'Etat par rapport à la vaste sociale d'éducation. La moyenne des dépenses publiques en éducation de la région des Caraïbes est de 4,3% du PNB et celle d'Haïti n'est que de 1,9%. Dans les pays les moins avancés cette moyenne est de 3,7%. Les parents haïtiens financent l'éducation à 85%. Ce faisant, il serait juste qu'ils soient exonérés des taxes sur les valeurs versées pour l'écolage et les frais annuels dans une écoles privées. Les pourcentages d'écoles privées dans quelques pays de la Caraïbe et de l'Amérique latine permettent de mettre en évidence la gravité du problème en Haïti Jamaïque 4,8% d'écoles primaires privées pour 2,9% d'écoles secondaires privées ; Bolivie 20,7% d'écoles primaires privées pour 29% d'écoles secondaires privées ; République Dominicaine 14,4% d'écoles primaires privées pour 23% d'écoles secondaires privées ; Barbades 11,3% d'écoles primaires privées pour 5,9% d'écoles secondaires privées ; Trinidad Tobago 5,7% d'écoles primaires privées pour 7,5% d'écoles secondaires privées Panama 10% d'écoles primaires privées pour 14,9% d'écoles secondaires privées Costa Rica 6,8% d'écoles primairs privées pour 12,2% dd'écoles secondaires privées Mexique 7,9% d'écoles primaires privées pour 16 % d'écoles secondaires privées Brésil 8,1% d'écoles primaires privées pour 11,3% d'écoles secondaires privées. Qu'est-ce qui explique le peu d'engagement de l'Etat haïtien dans le domaine de l'éducation ? Pour répondre à cette question , M. Emmanuel Buteau a remonté jusqu'à l'époque coloniale où pour les autorités d'alors ce n'était nullement une obligation de créer des écoles publiques. Car soutient-il, dans une société esclavagiste l'analphabétisme du captif était une fatalité économique et la sauvegarde d'un ordre. Quant aux premiers dirigeants d'Haïti, ils n'avaient, selon M. Buteau, aucune expérience de fonctionement d'un système scolaire public. La prospère colonie de St-Domingue ne disposait que de rares petites écoles privées où quelques libres apprenaient la lecture, l'écriture et le calcul ». Après l'indépendance sous le gouvernement de Jean-Jacques Dessalines, fut promulguée la constitution de 1805 qui prévoyait dans son article 19 l'ouverture d'une école primaire dans chacune des six divisions militaires du pays. Malheureusement, cette volonté n'a pas eu de répercussion concrète. Etant donné l'absence des écoles publiques, Dessalines fixa les prix des écoles privées à partir du décret du 30 août 1805 et en tenant compte des services offerts. Par la suite Pétion et Boyer ont ouvert quelques écoles publiques qui cependant ne devaient accueillir que les fils de fonctionnaires ou ceux dont les parents avaient rendu d'éminents services à la patrie. La procédure d'admission d'un enfant à ces établissements exigeaient des démarches époustouflantes en haut lieu. « La demande devait être portée par devant la commission scolaire régionale; celle-ci rédigeait un memorandum à l'intention du président de la République qui par une réponse écrite décidait de l'entrée ou de l'exclusion de l'enfant ». Il s'ensuit que Pétion pour ménager la caisse publique nationale préféra abandonner l'enseignement à l'intiative privée. Par la suite, les dirigeants plus portés à faire fortune, à partir des caisses de l'Etat ne pouvait se soucier d'ouvrir des écoles. La preuve la plus probante du peu d'intérêt pour l'éducation de nos responsables est la mésaventure d'Inginac l'un des administrateurs de l'Etat les plus honnêtes de toute l'histoire d'Haïti. Membre d'une commission nationale d'éducation, ce dernier avait soumis à Boyer, en 1832, un projet de loi pour une grande diffusion de l'instruction publique parmi la jeunesse. Le président, trouvant trop élevée la somme de 300.000 piastes que devrait coûter l'exécution de ce projet, accusa Inginac de vouloir gaspiller l'avoir de l'Etat et n'hésita pas à le renvoyer de la commission. Suite à cette affaire, en réponse à la question posée précédemment, Emmanuel Buteau arrive à la conclusion que: l'absence de la conviction chez nos la plupart de nos dirigeants que tout le monde a droit à l'éducation, qui est une survivance de la mentalité coloniale, est l'explication au manque d'engagement de l'Etat haïtien dans le domaine de l'éducation. Toutefois, l'ex-ministre de l'Education nationale n'a pas omis de signaler la performance extraordinaire de Henri Christophe qui, avec l'institution de ''l'Etatisme scolaire'', constitue, selon lui, une exception dans le domaine de l'éducation en Haïti. En dépit de l'état lamentable de notre éducation on doit reconnaître que certains ministres dont Honoré Férry, (premier ministre de l'instruction publique 1943), Elie Dubois, Jean Baptiste Francisque, Moïse Darty, Joseph C. Bernard, ont tenté des programmes de création d'écoles publiques et des réformes du système éducatif. Pourquoi des éducateurs plein de bonnes volonté qui deviennent ministres de l'Education ne parviennent pas à changer grand-chose ? A cette question, M. Buteau répond que : « Dans notre pays, la bonne volonté, l'efficacité sont souvent la cause de persécution . Les minitres qui combattent effectivement la corruption sont systématiquement calomniés. Les chefs d'Etat qui souvent veulent durer et être les seules à paraître, ne tolèrent pas de ministres trop visibles ». A ce propos, le coordonnateur du Consortium, a pris en exemple le cas du ministre Joseph C. Bernard qui a été malhonnêtement révoqué et la réforme qu'il a mis en oeuvre pendant son passage a été suspendu après son départ et 20 ans plus tard son application n'est pas achevée. Jusqu'en 1970, les écoles publiques étaient en majorité mais c'est aussi l'époque que commaitre à naitre une importante demande en éducation. Une réponse démagogique a été donnée à cette demande. En effet, raconte le professeur Buteau, sous prétexte de défendre le peuple, des politiciens portent les directeurs des écoles publiques à augmenter les effectifs qui passent de 50 jusqu'à 150 élèves par classe. C'est à cette époque que des écoles privées commencent à s'ouvrir à travers le pays. Bien que dans tous les pays du monde la scolarisation des enfants soit de la responsabilité de l'Etat, et malgré l'évidence de la démission de l'Etat haïtien, des dirigeants, la population et même les personnes les mieux fomées rendent les directeurs et directrices d'écoles privées responsables de l'exclusion des enfants de l'école. Ce pendant, pense Buteau, le secteur privé remplit un rôle social déterminant dans la société en constituant la plus grande source d'emploi du pays. Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, la plupart des écoles privées laïques finance partiellement ou totalement le fonctionnement d'école primaire gratuite. Toutes les écoles privées accordent tant au niveau primaire que secondaire, des bourses à un grand nombre d'enfants. Emmanuel Buteau a dénoncé avec véhémence la campagne médiatique qui se fait ainsi à chaque rentrée scolaire contre les écoles privées à cause de l'augmentation des prix de l'écolage et des frais annuels. Par contre, a-t-il lancé, une course de taxi qui passe en peu de temps de 5 gourdes à 20 gourdes est normal. Cette campagne contre les écoles privées empêche l'Etat et la population de mettre en évidence la précarité de près de 80% des écoles non publiques et contribue à rendre l'Etat plus irresponsable, a indiqué le professeur Buteau qui invite l'Etat à subventionner les petites écoles non publiques afin de permettre aux enseignants de ces écoles d'avoir un salaire raisonnable. Car, ajoute-t-il, dans les pays, où l'Etat scolarise la quasi totalité des citoyens même les écoles privées qui n'accueillent que les enfant des riches sont subventionnées par l'Etat. Comment l'Etat haïtien tire-t-il ses profits sur les écoles privées ? Selon l'intervenant principal du colloque, les reponsables politiques, la plupart du temps s'alignent sur l'opinion de ceux qui considèrent les directeurs d'écoles commes des exploiteurs. Cela explique que le fait que le code fiscal haïtien place les écoles privées dans la catégorie des entreprises purement commerciales. En 1995, la DGI a provoqué une flambée des prix des écoles privées en décidant que les directeurs d'écoles privées payent des impôts sur le revenu des professeurs pour les cinq années, impôts que les responsables d'écoles n'avaient pas l'habitude de prélever à la source. Des bordereaux de 500.mille et de un million de gourdes ont été imposés aux écoles. Face au désaroi des directeurs face à cette mesure, les vérificateurs ont donné le conseil suivant : augmentez l'écolage et donnez sa part à la DGI reprend l'intervenant choqué ajoutant qu' en Haïti le secteur privé remplace l'Etat qui a choisi de tirer des profits substantiels sur l'éducation dont il devrait avoir l'entière responsabilité.




https://lenouvelliste.com/article/22147/education-letat-haitien-face-a-sa-mission

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pages